TYR ET SAIDA, 2019 : LA PÊCHE MIRACULEUSE

Le monde des blogs, à son insu, crée des dimensions parallèles, superposant ce qui est et n'est plus, ou les contraignant à cohabiter, à l'instar du chat de Schrödinger, dans le même temps mort et vivant. A moins que le regard et l'action de décrire ce que l'on voit ne coexistent au même instant, que les deux soient contemporains l'un de l'autre. Un paradoxe qui semble trouver dans le street art sa plus parfaite expression. Évoquer l'art de rue de tel quartier, telle ville, tel pays, en reproduire les manifestations une ou plusieurs semaines (voire parfois davantage) après y avoir été confronté, c'est quelquefois, par l'œil et le langage, faire revivre ce qui déjà n'est plus, ou parler de ce qui, en l'absence d'observateur, existe et parallèlement n'existe pas.

Ainsi m'est-il étrange d'écrire sur mes dernières incursions dans l'univers du graph libanais, à l'heure ou les cités phéniciennes tentent de s'approprier les pages de leur histoire, où l'espoir du meilleur côtoie l'angoisse du pire. A l'heure où, m'en témoignent les photos envoyées par l'une de mes nièces, l'art urbain connait une belle effervescence au cœur des villes, enfiévrée par le mouvement qui porte tout un peuple.

Ce jour-là, c'est la même nièce, Tracy, qui nous proposa une escapade à Tyr (Sour en version originale). La ville est à l'autre bout du pays. Quelques heures de voiture peuvent s'avérer nécessaires. L'idée est de prendre une location airbnb pour une nuit et de commencer tôt le lendemain notre exploration de la ville portuaire, où je n'avais été qu'une seule et unique fois, longtemps auparavant. La vue de la terrasse est superbe. La route a été relativement fluide. Notre première marche du soir me permet d'apercevoir mes premiers graphs de la cité. Quand j'arrive à m'extirper du lit le lendemain, épouse et nièce ont déjà été faire un jogging et, dès que d'aplomb, m'emmènent en promenade vers un lieu qu'elles ont découvert. Un chemin qui mène vers la mer, bordé par un grand mur ponctué d'œuvres des plus gouleyantes.

La plus grosse surprise toutefois nous cueillera au retour vers notre  banlieue beirutine. Tracy emprunte un raccourci qui nous amène à l'orée de Saïda. Un bord de route hallucinant. Sur une suite de panneaux de bois les styles alternent, se juxtaposent dans un tourbillon de couleurs qui ne vise pas l'éclat mais l'harmonie. Nombre d'œuvres fortes s'imposent au regard. Ces œuvres sont-elles encore présentes ? Au Liban, tout ou presque est possible. Elles sont donc, et ne sont pas.